jeudi 17 mars 2011

Pourquoi rester?

Aujourd'hui je vais m'exprimer en français, pour changer !
Mes réservations sont faites, je rejoins les filles à Perth, départ mercredi soir, via HK (mais pas de stopover, désolée les amies).

Je rebondis sur une remarque d'Ines, depuis son hotel d'Osaka, qui fait un travail d'information immense auprès de la communauté française tout en occupant ses enfants, mais qui note que sa décision de ne pas quitter le Japon est condamnée par l'AFJ et l'AFe.

La question que l'on pose nous de façon directe ou indirecte, nous les gaijin qui sommes encore à Tokyo ou au Japon: pourquoi rester si votre présence n'est pas nécessaire?  C'est en gros la teneur des messages que nous recevons de nos ambassades depuis le weekend dernier,  nous enjoignant à quitter la région de Tokyo/Yokohama et les provinces de Nagano et Niigata, et nous offrant une assistance de départ, que ce soit par des vols de ligne pour les Suisses, ou des charters sur Paris au frais de l'état pour les Français. Ces décisions ont été prises sur la base du "principe de précaution", c'est à dire la nécessité d'éviter tout risque, si minime soit-il. Apparemment les assurances du gouvernment japonais, les données des scientifiques qui depuis le début nous répètent que cet incident gravissime ne ressemble en rien à Chernobyl et que Tokyo n'est pas dans la zone à risques, tout cela ne pèse pas lourd.

Pour Steve, c'est simple: le bureau continue de fonctionner "normalement", il tient péniblement la barre (pas tout seul, heureusement), il dirige des équipes encore fragiles suite au traumatisme qu'elles ont vécu -  sa présence est indubitablement nécessaire.

Pour moi, c'est différent: mon travail est portable, et je ne suis nécessaire à personne ici sauf à mon mari et ma chienne, ma famille et mes attaches sont ailleurs. Je consomme inutilement des ressources.  Et je pourrais tout a fait continuer d'être solidaire depuis l'étranger!

Sans aucun doute, si j'avais des jeunes enfants, j'aurais fait assez rapidement le choix de quitter Tokyo. Bon nombre de Tokyoites sont également partis chez des parents à Nagoya ou Osaka; mon amie Ana, par exemple, est chez des amis Japonais à Kyushu avec ses deux jeunes enfants.  N'ayant pas d'amis ou de connaissances ailleurs au Japon, la solution d'un retour au pays aurait été plus pratique que l'hotel indéfiniment à Osaka.

Ma présence n'est pas nécessaire, soit, mais fort appréciée par mon mari (surtout la nuit pour le réchauffer sous la couette car nous ne chauffons plus, par civisme, et il fait 10 degrés dans la chambre le matin!). La chienne, quant à elle, pourrait très bien etre placée chez une amie en attendant que Tokyo revienne à la normale.

Ma présence n'est pas nécessaire, mais elle est fort appréciée par nos amis Japonais, qui sont déroutés et décus par les départs précipités de leurs "foreign guests".  Certaines entreprises ont carrément fermé leur bureaux tokyoites. Des ambassades évacuent leur personnel (et non seulement les familles). A un certain niveau, ces décisions officielles communiquent un manque de confiance et de solidarité envers les autorités et le peuple japonais. Ces derniers sont bien trop polis pour le clamer ouvertement, mais commencent à murmurer leur déception.

Quant à l'argument que je consomme inutilement de précieuses ressources, il faut savoir que la population étrangère de Tokyo de pèse pas très lourd: environ 2.5%, et ce chiffre inclut un grand nombre de Coréens ou Chinois de souche de la 2eme ou 3eme génération.

Le principe de précaution, finalement. J'y adhère en partie, dans la mesure ou j'ai décidé de faire partir les filles. Mais j'ai aussi fait l'effort d'essayer par moi-même d'évaluer les risques que je cours en restant ici, en lisant, en m'informant, en écoutant les infos japonaises, les briefings du premier ministre sur NHK, en consultant mes amies japonaises...

Nous avons une tendance naturelle à surévaluer les risques les plus anxiogènes (le rapt d'enfant, le vol en avion) alors qu'il sont statitisquement moins probables, et de sous-évaluer les risques de tous les jours (traverser la rue, prendre le volant, faire du vélo sans casque). Si c'était le contraire la vie serait impossible.

 Donc voici mes raisons pour rester à Tokyo (mais seulement jusqu'à mercredi soir!):
Je suis utile, sinon nécessaire, à mon mari qui m'en est bien reconnaissant.
Je fais un geste de solidarité avec les Japonais, si petit soit-il.
Mon évaluation des risques est qu'ils sont gérables et je les accepte: le risque 0 n'existe pas. 
Je suis en mesure d'informer et de rassurer quelques personnes de mon petit cercle d'amis et de connaissances sur la situation dans un petit coin de Tokyo.

En retour, les Japonais me donnent  une belle leçon de vie: le sens du devoir et du sacrifice, le refus de baisser les bras, la volonté de continuer à vivre, travailler, aller à l'école meme après un événement traumatisant, le respect de soi et de l'autre y compris dans les circonstances les plus difficiles.

A vous qui en France, à Hong Kong, Singapour, ou autre part, vivez dans le temporaire et l'attente: gambatte!

P.S. ce soir nous nous offrons un bon resto! On n'est pas des saints, quand meme...

8 commentaires:

  1. Bnjour Viviane. Très intéressant ton post et ton blog. Très grande preuve de confiance, je suis certain que les japonais apprécient. Mais, est-il vrai qu'il y a des japonais qui, eux aussi, quittent Tokyo par peur de la catastrophe? Ici on en voit des centaines à la télé (à moins que ce ne soit un complot des média occidentaux)
    Salutations,
    Ben

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  2. Bon appétit ! Blague à part, je te dis tout mon respect et te demande de transmettre mes meilleures pensées à tous là-bas. Take care

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  3. Viviane, je suis impressioné !

    You & Steve "overpowered your lizard brain".

    http://www.youtube.com/watch?v=XqozprFZ_38&feature=related

    Bon courage !

    Patrice

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  4. On pouvait lire sur la manchette du quotidien suisse 24Heures, ce matin:

    "Un Suisse témoigne: "pourquoi j'ai quitté mes amis japonais""

    Vos témoignages nous permettent, à nous Européens, de mieux comprendre la difficulté du choix auquel vous êtes confrontés.

    On pense beaucoup à vous et aux filles,
    Isabelle

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  5. @ Ben: on voit des images de personnes provenant des zones évacuées montant dans des bus.

    De Tokyo et Yokohama, plein de familles sont aussi partis se mettre au vert chez les copains ou les cousins à Nagoya, Kyoto, ou plus au sud. Les vacances scolaires Japonaises on commencé cette semaine pour beaucoup, la semaine prochaine pour l'école de mon quartier, donc le timing n'est pas mauvais! Nos voisins de gauche et de droite sont ainsi partis. Je ne sais pas si les maris sont restés travailler.

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  6. Salut Viviane, bravo pour ton blog et pour ton courage et ton sang froid. Nous avons pris le parti de partir aidés par l'entreprise de mon mari. Quitter comme ça , c'est déchirant. Après un passage de quelques jours à Séoul, nous sommes finalement retournés en France. Aujourd'hui nous continuons à scruter les médias pour y voir des signes positifs, augurant un retour pour la rentrée après les vacances de printemps. Nous sommes très confiants et comptons revoir tous nos amis nihonjin et gaijin très bientôt.
    Bises de Florence de St. Maur
    Florence de St. Maur
    Florence

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  7. @Florence: courage! Et à bientot à Yokohama.

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  8. Viviane....sur au moins 4 points tu es notre japonaise :
    une belle leçon de vie
    refus de baisser les bras
    la volonté de continuer à vivre, travailler, aller à l'école meme après un événement traumatisant
    le respect de soi et de l'autre y compris dans les circonstances les plus difficiles.

    surveilles toi bientôt les courbettes au telephone.....!!

    plus serieusement...je crois te l'avoir dejà dis : merci ( je n'ai d'autre moyen de m'exprimer)

    cecile

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