dimanche 3 avril 2011

Les vertus de l'incertitude

Le mot d’ordre actuel au Japon est “gambarimasu”... Un verbe intraduisible constitué d’un mélange tout japonais de stoicisme, résignation et volonté. J’ai passé une heure ce matin à regarder des reportages en provenance des régions sinistrées sur un de ces morning show à la japonaise (un talento habillé en dandy anglais, un professeur au cheveux longs, une jeune et jolie journaliste dans un cadre de fausse cuisine d'une  laideur à couper le souffle). 

 C’est rageant d’être assis a Tokyo sans rien pouvoir faire: j’ai envie de sauter dans un train et d’aider une vielle dame à déblayer la boue et les ordures de sa maison. Mais sans vraiment lire le japonais, aucune idée de comment m’y prendre. A investiguer.

Les filles ont repris le chemin de l’école ce matin (à contre-cœur – les vacances c’était mieux), et je peux finalement me remettre un peu au travail sur le magnum opus ( le dictionnaire du chanoyu, pas le blog!).

Une semaine en Australie m’a fait le plus grand bien. Soleil, plage, chaleur, un peu de culture à Melbourne, des retrouvailles avec mon amie Jeanie (un petit soleil à elle toute seule), et pour ma grande des perspectives d’avenir (filière graphisme) qui l’aideront, j’espère, à tenir le coup encore un an dans une école ou elle peine à s’intégrer (avis aux parents: évitez de déplacer vos enfants en 1ere – difficile de se refaire sa place!)

Je ne suis pas trop soucieuse par rapport à notre alimentation (je pars du principe que les japonais sont encore plus inquiets que moi, donc je n’ai qu’a les imiter), mais j’attend les retombées politiques: il y a eu un manque de décision tout a fait impardonnable, par exemple pour débloquer des réserves de fuel et d’essence pour les régions sinistrées, une opposition LDP qui a fait obstruction au budget... Le peuple japonais est admirable, mais il devrait arreter un peu de “gaman-suru” sa classe politique.  Il mérite mieux.

Le “waiting game” va sans doute continuer quelques mois encore du coté de Fukushima, et le problème énergétique perdurera sans doute aussi . Actuellement tout le monde fait preuve de civisme (Selon le chouette "electrometre" de 
Yahoo.jp, ce lundi matin nous sommes à 84% de la capacité maximale du réseau).  Mais l’été est beaucoup plus gourmand en électricité (climatiseurs) et l’état devra prendre des mesures plus décisives. On parle de fermer les grands magasins à tour de role un jour par semaine, limiter les heures d’ouverture, passer à un régime “nuit” à tour de role pour les usines.  J’imagine qu’un bon nombre de manufactures fonctionnent déjà avec des équipes 24/24h, je ne vois donc pas trop comment on peut éviter le rationnement.

La pénurie (toute relative) de certains aliments sur les rayons des magasins est en partie dû à des problèmes d’approvisionnement au niveau des emballages – plusieurs fabricants représentant des grosses parts du marché (des tetrapak pour le lait, des emballages pour le natto, par ex.) ont vu leurs usines endommagées par le tsunami ou ont dû réduire leurs activités pour cause de manque d’électricité, de difficultés à se procurer la matière première (des ports dévastés). On peut probablement s’attendre a des disruptions de ce genre encore un mois ou deux.

Marie, dans son email d'hier, a exprimé nos sentiments à tous bien mieux que je ne saurait le faire: "nos vies ont basculées vers un questionnement permanent sur ce que nous sommes et notre devenir. De nos certitudes sont nées des incertitudes, de nos confiances ont jaillies des peurs…"

Les CNN, BBC et cie font maintenant leurs choux gras de la guerre en Lybie. Là aussi, on focalise sur les images choc, et on oublie la tragédie humaine: les familles qui ont dû fuir les combats (beaucoup de ressortissants d’autres pays arabes), et qui se terrent chez eux, ou se retrouvent dans des camps, démunis, sans moyen de rentrer chez eux. On ne leur affrète pas des avions pour les rapatrier.

Pendant un an a Hong Kong j’ai travaillé comme interprète bénévole pour une organisation d’aide juridique aux réfugiés (appuyant leurs démarche de demande de statut de réfugiés auprès du HCR). Certains ne répondaient clairement pas aux critères du HCR, mais leur histoire n’en était pas moins douloureuse.  Je me suis demandé souvent ce que j’aurais fait dans une situation semblable (pour ne citer qu’un exemple: père et frère retrouvés égorgés, menaces voilées du responsable politique local, emploi précaire, pas de relations puissantes pour me protéger...): fuir plutot que de vivre sous la menace permanente, ou rester en espérant  que ça s’arrange? Fuir voulait dire supporter une longue et désespérante attente à Hong Kong, en vivotant d’une aide de 2000 HK$ (200 Euros) par mois. L'attente et l'incertitude, l'impossibilité de faire des plans d'avenir ou meme de travailler… les jours devaient être bien longs, nos clients étaient souvent déprimés.

Voilà ou je veux en venir avec cette digression: j’aimerais que le "questionnement permanent" dont parle Marie, notre état, pour certains, de réfugiés temporaires, nous incite à plus de compassion pour les personnes déplacées dans des pays infiniment plus instables.  Ils arrivent parfois sur les rivages d’Europe ou d’Australie dans de frêles embarcations et passent des années d’attente dans des camps. Ils ont tous eu des vies qui ont basculées, comme les notre à moindre échelle, ils ont fait l'expérience de la peur et de la fuite.

Excusez mon ton moralisateur aujourd'hui… Mais a quoi sert donc le questionnement si ce n'est de remettre en question ses certitudes et a tendre vers plus de vérité éthique, morale et humaine?

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